Retour sur la page d'accueil


Extrait du livre d'or de l'association Vent d'Afrique, écrit et signé par Sotigui Kouyaté
"En souvenir de mon agréable séjour à Sète à l'occasion de ma rencontre avec l'Association "Vent d'Afrique" et de ses membres. J'ai été comblé par l'accueil amical et fraternel et je leur dis merci pour l'oeuvre combien noble, qui est de contribuer à sortir notre chère Afrique de la méconnaissance.
Je renouvelle mon engagement à soutenir cette action avec tout ce qui me reste comme force et capacité.
Courage, car il en faut. C'est une bataille qui ne se gagne pas en un jour. Les jours sont longs des semences aux récoltes, mais, on fini par récolter un jour.
Je suis avec vous"

Sotigui KOUYATE (Le 22 avril 2007)


C'est avec une grande tristesse que nous vivons la disparation du parrain de l'association Vent d'Afrique,
le grand acteur de cinéma et de théâtre, Sotigui Kouyaté.

Il est décédé à l'âge de 74 ans, samedi 17 avril 2010 à 18h30 à l'Hôpital Georges Pompidou (Paris) suite à une longue maladie pulmonaire. Il a été inhumé au Burkina Faso
Toute l'équipe de Vent d'Afrique est fort bien touché de la disparition de ce grand homme, qui a tant donné au monde culturel et artistique.
Il nous aura légué beaucoup de son savoir faire et il restera gravé dans nos mémoires.

Si l'association Vent d'Afrique a traversé une période difficile pendant de nombreuses années, sans qu'elle ne puisse se défendre correctement et relever la tête, cela était liée à la longue maladie que son parrain vivait.

Nous souhaitons paix à son âme et repos mérité.

En savoir plus sur
...SOTIGUI KOUYATE...

site : fr.wikipedia.org/wiki/Sotigui_Kouyaté

Sotigui Kouyaté est un acteur de théâtre et de cinéma malien et burkinabè, né en 1936 à Bamako
et mort le 17 avril 2010 à Paris d'une maladie pulmonaire.

Kouyaté commence par être griot dans le pays mandingue avant de devenir joueur international de football (joueur professionnel jusqu'en 1966 et capitaine de l'Équipe du Burkina Faso de football), enseignant puis acteur.

En 1966, il accepte de jouer une pièce de théâtre à la demande de son ami Boubacar Dicko. Sotigui Kouyaté est surtout connu pour ses collaborations avec Peter Brook, notamment dans l'adaptation du Mahabharata en 1985.

En 1997, il s’associe à Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Alioune Ifra Ndiaye et Habib Dembélé pour fonder une structure de promotion et de création littéraire et artistique, le Mandeka Théâtre. En 1998, il met en scène avec le Mandeka Théâtre une adaptation d’Antigone.

Ses rôles dans les films La Genèse de Cheick Oumar Sissoko et Little Senegal de Rachid Bouchareb le font connaître au grand public. Kouyaté est un des plus grands acteurs africains contemporains. En 2009, il est sacré meilleur acteur pour son rôle dans le film London River de Rachid Bouchareb, au Festival de Berlin.

Il est le père du réalisateur Dani Kouyaté et du conteur Hassane Kassi Kouyaté.

Il vivait en France, dans la commune des Lilas.

Filmographie
1972 : FVVA : Femme, villa, voiture, argent de Mustapha Alassane.
1973 : Toula ou le génie des eaux de Mustapha Alassane.
1983 : Le Médecin de Gafiré de Mustapha Diop.
1986 : Black Mic Mac de Thomas Gilou avec Jacques Villeret, Isaac de Bankolé, Félicité Wouassi, Daniel Russo , Houdia Seye, Sidy Lamine Diarra, Cheik Doukouré, Mohamed Camara, Lydia Ewandé, Math Samba, Rémi Laurent, Amara Soumah et Pascal Légitimus.
1988 : Le Mahabharata de Peter Brook.
1992 : Golem , l'esprit de l' exil d’Amos Gitai avec Hanna Schygulla, Vittorio Mezzogiorno, Ophrah Shemesh, Samuel Fuller, Muriel Perrier, Fabienne Babe, Bernardo Bertolucci et Philippe Garrel.
1994 : Tombés du ciel de Philippe Lioret
1995 : Le Maître des éléphants de Patrick Grandperret, avec Erwan Beynaud et Jacques Dutronc.
1999 : La Genèse de Cheick Oumar Sissoko avec Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Salif Keïta, Balla Moussa Keïta, Fatoumata Diawara, Maïmoura Hélène Diarra, Fatoumata Coulibary, Habib Dembélé, Magma Coulibaly et Oumar Mamory Keïta.
2001 : Little Senegal de Rachid Bouchareb avec Roschdy Zem, Sharon Hope Ida, Karim Traoré Hassan, Adetoro Makinde Amaralis et Adja Diarra Biram.
2002 : Sia - Le rêve du python de Dani Kouyaté avec Hamadoun Kassoqué, Fatoumata Diawara et Habib Dembélé.
2003 : Dirty Pretty Things de Stephen Frears.
2004 : Génésis de Marie Perennou et Claude Nuridsany.
2005 : L' Annulaire de Diane Bertrand.

Théâtre (Acteur)
1985 : Mahabharata, mis en scène par Peter Brook
1990 : La Tempête, mis en scène par Peter Brook
Novembre 1993 : L'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau mis en scène par Peter Brook, d'après l'œuvre d'Oliver Sacks
1996 : Qui est là, mis en scène par Peter Brook
Janvier 1999 : Antigone, de Sophocle, mis en scène par Peter Brook, avec le Mandéka Théâtre de Bamako
2000 : Hamlet, de William Shakespeare, mis en scène par Peter Brook
Décembre 2000 : Le Costume de Can Themba, adapté par Mothobi Muloaste, mis en scène par Peter Brook
Février 2003 : La Tragédie d'Hamlet, de William Shakespeare, traduit par Marie-Hélène Estienne et Jean-Claude Carrière, mis en scène par Peter Brook
Octobre 2004 : Tierno Bokar, mis en scène par Peter Brook d'après Vie et l’Enseignement de Tierno Bokar, roman de Amadou Hampâté Bâ (Tierno Bokar)

Théâtre (metteur en scène)
Le Pont, de Laurent Van Wetter, créé le 14 octobre 2003 au Théâtre de Nanterre-Amandiers, avec Habib Dembélé et Hassane Kouyaté.


Maître de la parole

Sotigui Kouyaté: le sage de la scène
--------------------------------------------------------------------------------
Propos recueillis par Cynthia Guttman, journaliste au Courrier de l’UNESCO.
www.unesco.org/courier/2001_10/fr/dires.htm

Sotigui Kouyaté, le premier Prospero noir dans La Tempête de Shakespeare.

L’Antigone de Kouyaté, montée avec des acteurs maliens du Mandeka

«Le plus ignorant est celui qui n’a jamais dépassé le seuil de sa maison»

Un griot traditionnel, en Guinée.

 

Lorsqu’elle préparait le casting pour monter le Mahabharata, l’assistante de Peter Brook courait les auditions à la recherche d’un acteur capable d’incarner l’un des rôles principaux, celui du sage Bhisma. «J’ai vu un plan qu’elle avait choisi d’un arbre et d’un homme aussi grand et élancé que cet arbre, avec une présence et une qualité extraordinaires: Sotigui», rappelait Brook dans un récent documentaire sur l’acteur. Né en 1936 à Bamako, la capitale du Mali, Kouyaté appartient à une illustre famille de griots – ces maîtres de la parole qui sont à la fois, historiens, généalogistes, maîtres de cérémonie, conseillers, médiateurs, chanteurs et musiciens. Il a transmis ses talents de compositeur, de danseur, d’acteur et de père à ses propres enfants et à une multitude «d’enfants spirituels», dispersés à travers le monde, dont il est le guide. Incarnant tous ses rôles avec dignité, il a tourné dans une soixantaine de films, et récemment dans Little Senegal, de Rachid Bouchareb. Kouyaté, qui travaille sous la direction de Peter Brook depuis de longues années, continuera l’an prochain, en jouant notamment dans L’Homme qui, basé sur l’œuvre d’Oliver Sacks L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, et Le Costume adapté de l’auteur sud-africain Can Themba.


«J’ai créé le Mandeka Théâtre pour empêcher les jeunes de fuir le Mali» Il a choisi l’exil et le théâtre. Mais pas n’importe lequel. Un théâtre d’avant-garde, d’ouverture à l’autre, de métissages. Un théâtre qui permet à ce griot malien, acteur fétiche de Peter Brook, de rester fidèle à lui-même. Et à l’Afrique.

Vous affirmez souvent, «je suis griot avant tout». Comment cette identité profonde influence-t-elle votre démarche théâtrale?
Je trouve mon énergie dans les rencontres. Dans la partie de l’Afrique à laquelle j’appartiens – je suis guinéen d’origine, malien de naissance et burkinabé d’adoption –, les rencontres ont leur importance, car l’étranger est celui qui nous apporte ce que nous ignorons.
Je ne suis passé par aucune école de théâtre, si ce n’est la grande école de la rue, «de la vie». Quand j’étais jeune, un ami homme de théâtre, Boubacar Dicko, m’a invité à plusieurs reprises à jouer pour lui. Mais je pensais à tout, sauf à cela… A l’époque, je jouais dans l’équipe nationale de football du Burkina Faso!

Vous aviez une image négative de l’art dramatique?
Quand j’étais petit, les représentations de koteba, une vieille tradition africaine qui signifie «grand escargot», me plaisaient beaucoup. Elles se passaient dans le quartier, en trois cercles: le premier était formé par les enfants, le deuxième par les femmes et le troisième par les hommes. Mais à l’époque coloniale, le koteba avait progressivement disparu et une autre forme de théâtre, à la manière occidentale, avait pris le dessus. Les Français avait institué des compétitions théâtrales entre les territoires de l’Afrique occidentale – qui a ensuite donné naissance à huit pays. Cette démarche coloniale avait, consciemment ou non, un double objectif. D’abord, nous inculquer la culture occidentale. A l’école, on ne pouvait pas parler notre langue sans se voir infliger un «symbole»: on nous mettait autour du cou un morceau de bois ou de tôle sur lequel on dessinait une tête d’âne et on nous privait de déjeuner. La meilleure façon de tuer un arbre, c’est de le couper de ses racines. Ce théâtre à l’occidental a aussi contribué à détourner les intellectuels africains d’un engagement en faveur de l’indépendance.

Comment s’est fait le déclic?
J’aime beaucoup la danse, et j’ai finalement accepté, en 1966, de jouer dans une pièce historique montée par cet ami, Boubacar Dicko, où figurait une danse guerrière. Il m’a aussi proposé de jouer le rôle d’un conseiller du roi. La pièce a été primée et a tourné dans la région. Par la force des choses, je me suis senti lié à ce spectacle, puis à un autre, tiré d’une pièce écrite par mon oncle. Petit à petit, j’y ai pris goût. Mais tout ne me plaisait pas, par exemple les stages dirigés par des formateurs français. On nous disait, sans explication, de marcher sur scène; cela me paraissait trop artificiel. On nous demandait d’imaginer un bateau, de le visualiser sur le mur, mais je ne voyais rien… Je suis parti, mais j’y avais vraiment pris goût. J’ai créé ma propre compagnie de théâtre en 1966, avec 25 personnes. La radio burkinabé m’a proposé un espace pour travailler, nous faisions surtout de l’improvisation. Le matin, je partais au bureau, au ministère du Travail et de la Fonction publique, à cinq heures, j’allais au foot, puis c’était les répétitions de théâtre. En même temps, j’ai écrit ma première pièce, La Complainte du caïman. Elle parle de la sensibilité, ce don grâce auquel les Burkinabés arrivent à «caresser» les crocodiles, qui sont des animaux sacrés.

Cette sensibilité, est-ce la quête première de l’acteur?
Je travaille beaucoup dans mes stages sur l’ouverture, la communication, la sensibilité. Dans tous les discours, on parle de communication, d’échange. Mais il s’agit d’intérêts économiques, jamais d’intérêts humains. La communication n’est pas possible sans écoute, et il n’y a pas d’écoute, même entre des gens d’un même pays. Chacun est replié sur soi. L’exclusion ne fait que gagner du terrain. Les gens risquent leur vie pour fuir leur pays. Et les puissances ferment les yeux sur tout cela.

Parvenir à un autre mode de communication, qui serait l’aboutissement d’une recherche entre comédiens de différentes cultures, est au cœur de la démarche de Peter Brook, que vous avez rejoint en 1983 pour tenter l’aventure du Mahabharata, la grande épopée indienne.
Quand je suis arrivé au théâtre des Bouffes du Nord à Paris, je n’avais pas l’intention de rester en France. Je m’étais mis en disponibilité de mon ministère pour un an. Le malheur – ou le bonheur – pour moi, avec le Mahabharata, ça a été son succès. J’ai demandé une prolongation au ministère, qui m’a accordé une deuxième et dernière année de congé sans solde. Mais à expiration, la tournée n’était pas finie. Or, je n’avais pas de doublure dans la pièce – qui durait neuf heures. Conformément à la culture que l’on m’a transmise, je ne pouvais pas interrompre un travail que j’avais entrepris. Je ne pouvais pas les abandonner. Au Burkina Faso, j’avais 29 ans de service dans la fonction publique; il me manquait une année pour bénéficier de mes droits à la retraite. Je les ai perdus. Quatre mois plus tard, le Mahabharata a cessé de tourner et je n’avais plus de travail au pays. Je ne me voyais pas rentrer les mains vides dans ma famille, dont je suis le pilier, le premier fils. C’est trop difficile à supporter. Ici en France, j’avais la possibilité de me battre, de travailler, de chercher, à travers mon être et ma culture. L’art n’a jamais nourri son homme en Afrique, pas pour l’instant.

Vous vous êtes coulé dans le rôle du sage Bhisma avec aisance.
Quand je suis arrivé chez Peter Brook, je n’étais pas dépaysé. J’ai vu que tout se passait à l’intérieur d’un cercle comme en Afrique, et dès le troisième jour, il m’a tenu la main, m’a regardé dans les yeux et m’a dit: «Sotigui, à partir d’aujourd’hui, tu fais partie de la famille». Cela était sacré pour moi; il n’a pas dit: «tu fais partie de notre groupe, de notre compagnie». Il avait compris la nature profonde de l’Africain, il avait embrassé ma culture. Peter Brook est un homme universel. Il n’y a pas de cloisons pour lui entre les hommes, et cela est rare dans le monde d’aujourd’hui. Certaines personnes ne comprennent pas ma fidélité à Peter Brook. Mais je ne peux pas ne pas être fidèle à quelqu’un qui défend ces valeurs dans le monde d’aujourd’hui, où la séparation et l’individualisme ont le dessus.
Dans son Centre international de recherche et de création théâtrale, nous étions 22 comédiens de 18 nationalités différentes. Dans le Mahabharata, les cinq frères Pandavas étaient joués par un Allemand, un Français, un Iranien, un Italien, un Sénégalais. Cela n’a gêné personne, la pièce a été jouée pendant quatre ans à travers le monde. Seul Peter Brook était capable de cela. Pour lui, il n’y a ni race, ni couleur. Avec lui, j’ai aussi incarné Prospero dans La Tempête. C’était la première fois qu’un metteur en scène européen, un shakespearien britannique de surcroît, montait cette œuvre de Shakespeare avec un Prospero noir.
Brook a dit de vous que votre imagination était nourrie d’une culture où le monde apparent et le monde invisible sont inséparables. On a souvent l’impression que chacun de vos rôles est un voyage initiatique.
Je viens d’une culture où la nature tient une grande place en chaque être humain; on se représente son âme dans un arbre, ensuite dans un animal, puis dans les êtres humains. On donne encore à certaines personnes des noms d’arbres. Cela signifie que tout est vivant dans ce monde. Hélas, l’homme a de plus en plus tendance à penser qu’il est le seul être vivant sur Terre.
En français, on peut désigner quelqu’un en disant «voilà une personne». Dans plusieurs langues africaines, lorsque le mot «personne» est prononcé, il est suivi de ce qui pourrait se traduire par «personne de la personne». Cela veut dire que chaque être humain possède en lui une multitude de personnes, qui sont les autres. La vie consiste, chaque jour, à aller à leur rencontre, car on ne peut découvrir ces multiples êtres intérieurs qu’à travers les autres. «Quand tu rencontres l’autre, au lieu de te perdre dans ses yeux, reconnais-toi dans ses yeux, il se pourrait que tu t’y voies toi-même», dit l’adage. L’ignorance, pour nos sages, est la pire des choses qui puisse arriver à un être humain, pire que la maladie ou la mort. Et le plus ignorant de tous, selon leur pensée, c’est celui qui n’a jamais dépassé le seuil de sa maison.

Votre propre travail de metteur en scène est d’ailleurs nourri par ces croisements, ces rencontres. Vous avez notamment monté Antigone avec des acteurs maliens.
C’est dans les différences que l’on trouve les voies de la complémentarité. A la demande du musée Jean Moulin à Paris, j’ai créé un spectacle en 1999 pour le centenaire de la naissance du résistant français. J’ai fait une adaptation de son journal Le Premier combat, que j’ai fusionné avec un roman camerounais de Ferdinand Oyono Le Vieux Nègre et la Médaille. Cela a choqué certains compagnons de lutte de Jean Moulin, mais la directrice du musée, une historienne, a fermement défendu le projet.
Depuis plusieurs mois, je travaille sur Œdipe, la suite logique d’Antigone. Je me suis basé sur différentes versions de l’histoire d’Œdipe, de Sophocle à Jean Anouilh, en passant par une série noire. J’ai lu les interprétations des psychanalystes, de Freud à Tobie Nathan, qui ont mis l’inceste au centre de leur pensée. Pour moi, Œdipe, c’est le problème de l’être humain face à lui-même. Je ne cherche pas à donner de réponse; j’ouvre une réflexion, une prise de conscience, sur la bataille qui se noue autour du destin de chacun, sur la nécessité de ne pas se laisser aller au fatalisme. Œdipe est-il coupable d’avoir assassiné son père? Il avait d’abord été accepté comme un héros, le sauveur d’un pays qui souffrait. Ensuite, il a été rejeté par ses propres fils et lapidé devant le mur de Thèbes par ce même peuple qu’il avait sauvé. C’est un homme en fuite, habité par la souffrance, par une obsession. S’il avait accepté sa faiblesse humaine, il ne se serait pas crevé les yeux. Je termine mon Œdipe par une réflexion sur ce qui me semble le plus grave, c’est-à-dire le refus de pardonner. Le chœur appelle les dieux à exalter le héros après ses vaines épreuves.

C’est un appel à la raison…
Le pardon ne guérit pas tout mais peut améliorer certaines choses. Existe-t-il une faute assez grave pour ne jamais mériter le pardon? Le mal est-il mal à cent pour cent, ou ne peut-on pas y trouver une petite fissure qui puisse le rapprocher du bien?

Vous êtes porteur de profondes valeurs africaines, à l’image de votre rôle dans le film de Rachid Bouchareb Little Senegal (2000), mais celles-ci ne sont-elles pas menacées?
J’ai cette peur continuelle, mais je tente de me battre avec la parole et la culture. Par exemple, à Bobo Dioulasso, la deuxième ville du Burkina Faso, j’ai ouvert un centre culturel, il y a quelques années avec mes enfants. J’ai fait cela dans la cour de mon père, un espace très vaste. C’est aujourd’hui un lieu de formation en musique, percussions, peinture, un lieu d’échange où nous accueillons des peintres étrangers dans le cadre de stages. Nous voulons également en faire un centre de formation en informatique. Par ailleurs, nous voudrions créer une université des traditions africaines, pour mettre au point un système de conservation de ces traditions et approfondir la connaissance de notre culture.

Vous avez également créé au Mali le Mandeka Théâtre, une structure de promotion et de création littéraire et artistique.
Nous avons créé le Mandeka en 1997, à l’époque où la France, tous les jours, «reconduisait à la frontière» des Maliens et des Sénégalais par charters entiers. Au même moment, à Bamako, des comédiens continuaient à me demander comment faire pour aller en France, comme s’ils ne voyaient pas la réalité, l’exclusion des immigrés. Lorsque je leur déconseillais de partir, ils me fixaient comme pour me dire, «regarde-toi, tu n’es pas mal, toi là-bas, et tes fils non plus». Le plus simple finalement, c’était de dire que je ne pouvais aider personne à venir en France. En revanche, j’étais prêt à faire mon possible pour eux, en les faisant travailler ou en leur trouvant des stages, des formations. C’est dans cet esprit que j’ai créé le Mandeka, pour empêcher les jeunes de fuir, pour qu’ils gagnent en crédibilité grâce à leur travail et puissent montrer à l’extérieur ce dont on est capable. Antigone a été joué par les comédiens du Mandeka en France. Les Bouffes du Nord acceptent de produire Œdipe, avec des comédiens maliens du Mandeka et des Français.

Le théâtre et le cinéma africains font tout de même pâle figure sur la scène mondiale, contrairement à la musique.
Il n’y a pas de politique culturelle africaine. Si notre cinéma souffre de quelque chose, c’est d’un manque de moyens de production et de distribution. Il y a quelques années, les films qui bénéficiaient de l’avance sur recette accordée par la France étaient bien plus nombreux, parce que les thèmes, souvent de nature ethnographique, intéressaient les bailleurs de fonds. A partir du moment où les cinéastes africains sont passés à autre chose, quand ils ont cessé le folklore, ils ont bénéficié de moins en moins d’aides. Quant aux acteurs… Pendant longtemps, quand vous lisiez le budget d’un film africain, vous y trouviez toutes les rubriques sauf celle des acteurs!
Au Burkina et au Mali, la Direction du cinéma fait ce qu’elle peut, mais ça ne va pas plus loin que de prêter des véhicules et des caméras. En ce qui concerne le théâtre, c’est pire. Il n’y a rien du tout. Les compagnies qu’on voit à l’étranger, en Europe, n’ont pu compter que sur elles-mêmes. On ne peut même pas dire qu’on était plus riches avant que maintenant. Lorsque j’ai créé mes propres ballets en 1971, au Burkina Faso, je n’ai reçu aucune aide. Je me suis endetté pour acheter des instruments, des costumes. A plusieurs reprises, l’Etat me les a confisqués pour représenter le pays dans des festivals ou pour la venue du président Pompidou – sans jamais rien nous donner en échange.

Vous sentez-vous porteur d’un message de l’Afrique?
Soyons modeste, l’Afrique est vaste, et ce serait une grande prétention que de vouloir parler en son nom. Je me bats avec la parole car je suis griot. On nous appelle, à tort ou à raison, les maîtres de la parole. Nous avons le devoir d’inviter l’Occident à moins méconnaître l’Afrique. Il y a même des Africains qui ne connaissent pas vraiment leur terre. Or, oublier sa culture, c’est s’oublier soi-même. On dit: «le jour où tu ne sais plus où tu vas, souviens-toi d’où tu viens». Notre force est dans notre culture. Toute ma démarche, en tant que griot, est nourrie par cet enracinement et cette ouverture.

retour en haut de page

Retour sur la page d'accueil